mardi 3 avril 2012

Blogue 10 : Pratiquer le détachement (avertissement : cœurs sensibles s’abstenir)


Cette semaine je serai brève et je ne mettrai pas de photos car je ne veux pas risquer tout perdre dans un ordi qui ne m’appartient pas. Car oui, ce que je redoutais le plus s’est produit… Mon fidèle MacBook a rendu l’âme mardi soir le 27 mars vers 18h30. Dieu garde son âme (comme ils diraient ici). Mon père m’en envoie un autre par un employé du CECI la semaine prochaine (et j’en ai profité pour faire ajouter un autre maillot de bain!), mais d’ici là, mes photos restent dans mon appareil!!!

Mercredi passé, je rentre chez Lucie ma coordonatrice. Elle semble bouleversée. Elle est très impliquée dans la communauté. Me connaissant, j’imagine que je ferais pareil si j’étais ici depuis deux ans. Au coin de la rue, il y a une femme qui casse des roches. Elle vit dans la rue. Elle a vraissemblablement des problèmes de santé mentale. Et elle a des enfants qu’elle s’est fait faire pour quelques gourdes (argent haïtien), par des hommes des alentours. Peut-être ceux qui vivent au coin de la rue avec elle, elle ne s’en souvient plus. Certains de ces enfants sont morts, d’autres ont trouvé de la parenté pour les accueillir. En ce moment, elle en a deux avec la femme. Un garçon d’à peine 2 ans et une petite fille de 4 mois et demi. Lucie a payé une opération au garçon l’année dernière. Une hernie, ses intestins lui descendaient dans les testicules. Il va devoir se faire réopérer car ça a recommencé. La petite rit beaucoup et elle est mignonne comme tout, malgré les petits boutons et les champignons qui lui poussent un peu partout sur le corps.

Lucie se met à m’expliquer que dans l’après-midi elle entendait hurler au coin. Il y avait un attroupement de gens… La femme tenait la petite de 4 mois et demi par les pieds et la battait à grands coups du revers de la main. Quand elle a vu Lucie, elle a posé l’enfant et s’est enfuie. Lucie a ramassé l’enfant qui hurlait et l’a emporté chez elle. Elle l’a lavée et l’a calmée, comme elle le fait souvent. Quand elle a retrouvé la femme, elle lui a demandé pourquoi elle s’était enfuie. La femme lui a répondu qu’elle avait peur qu’elle la batte. Lucie lui a répondu que personne ne devait battre qui que ce soit et elle lui a demandé pourquoi elle avait eu l’idée de battre le bébé. Elle lui a répondu qu’elle avait raison, qu’il valait mieux battre le garçon, que c’était lui qui lui causait des problèmes. Lucie lui a dit qu’il ne fallait battre personne. Que quand elle sentait qu’elle pétait les plombs, il fallait lui apporter les enfants.

Le lendemain de l’incident, la petite s’est retrouvée à l’hôpital. Elle hurlait de douleur, son petit bras était tout enflé. La femme a expliqué à Lucie qu’elle l’avait échappée. Les radiographies n’ont pas révélé de cassure. Lucie est allée acheter un siège de bébé. Au moins, la femme pourra déposer le bébé dedans quand elle pogne les nerfs.

Ici, il n’y a pas de DPJ. Il n’y a pas de ressources pour les itinérants, pas de travailleurs de rue, pas de CLSC, pas de travailleurs socials. Et l’adoption internationale est fermée parce que ce n’est pas assez contrôlé et que les cas de vols d’enfants sont trop fréquents depuis le tremblement de terre. Les gens se ferment les yeux. Que peuvent-ils faire, han? C’est ce qu’un ami de Lucie lui a dit. Et elle de répondre :

« Vous passez votre temps à prier Dieu, mais vous n’êtes pas capables de vous occuper de vos paires. Dieu, il ne fera rien pour ces enfants, mais vous, vous pouvez!!!! »

Elle a raison. Je l’admire. Mais je me questionne à savoir si tout cela est bien sain. À un moment donné, c’est vrai. Qu’est-ce qu’on peut faire? Mais est-ce qu’on peut vraiment rester là à ne rien faire? Je pense (et c’est ma propre analyse, je ne me suis pas documenté), qu’à force d’être entouré de ces situations, quand on a toujours grandi là-dedans, on fini par ne plus voir. Pas parce qu’on se ferme les yeux, pas parce qu’on s’en fout, mais juste parce que c’est l’habitude. Comme un acouphène ou un mal de dos ou l’arthrite… Ça fait mal, ça nous empêche de fonctionner à plein régime, mais on fini par s’habituer, on arrête d’en parler, on vit avec. Parce que c’est comme ça, et qu’est-ce qu’on peut y faire? Han? Alors, on se détache et on continue notre chemin.

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À tous les jours, je me fais demander de l’argent, de la nourriture, des ballons. Souvent de façon agressive, mais parfois gentiment.

Le garçon (d’environ 9 ans) : - Madame Catherine, bonjour!
Moi : - Bonjour timoun! (Il connait mon nom, je ne me rappelle pas de lui…)
Le garçon : - Ça va bien madame Catherine?
Moi : - Oui et toi? (Mais il est donc bien poli cet enfant! Pas de BLANC, J’ai faim, Give me one dollar!?!)
Le garçon : - J’ai vu un ballon au marcher. 50 gourdes. Si je vais avec vous, vous pourriez me l’acheter pour que je joue avec mon ami?
Moi : - Timoun, si je t’achète un ballon, je vais devoir en acheter un à ton ami, et à l’autre là-bas et à la petite fille en face et tous les enfants vont venir me voir pour avoir un ballon. Je ne peux donc pas t’acheter un ballon.
Le garçon : - Je comprends, vous avez raison Madame Catherine.
Moi : - Ok, bonne journée! Désolée…

Ouais, désolée… Je me sens un peu comme de la merde depuis que je lui ai dit non… Pratiquer le détachement…
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Mon mandat stagne toujours. Je suis là pour structurer quelque chose qu’on arrive pas à me définir. Je soutiens que ce n’est pas à moi à tracer les grandes lignes du projet car si je le fais, le projet ne sera pas à leur image et ne sera donc pas viable. Un moment donné je dois pratiquer, là aussi, le détachement.

En bout de ligne, et je pourrai en reparler dans deux mois car je suis à la moitié de mon mandat, je pense que l’expérience, quoi que difficile, aura été des plus enrichissantes. Mais une chose est certaine je constate pendant mon séjour haïtien, d’autres injustices de la vie. Cela dit, ici on les a dans la face ces injustices, mais je peux vous garantir qu’il y en a autant chez nous, c’est juste qu’elles sont souvent cachées ou déguisées. Je parlais de la grève des étudiants à un de mes partenaires hier. Il a étudié en journalisme à l’université et enseigne dans une école primaire pour un salaire de merde. Il est très conscient de la puissance économique du Canada et du confort que nous avons chez nous. Cependant, il a trouvé inacceptable ce qui se passe au Québec et m’a lancé un « Mais la force d’une nation passe par l’accès à l’éducation pour tous!!! » qui m’a fait chaud au cœur. Et Dieu sait qu’il y a un sérieux problème d’éducation ici!

Cela dit, j’y repense et me questionne… Est-ce qu’ils se ferment vraiment les yeux ou ont seulement une manière plus optimiste d’aborder les épreuves? Je ne sais pas… Probablement un peu des deux!

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