Cette semaine je serai brève et
je ne mettrai pas de photos car je ne veux pas risquer tout perdre dans un ordi
qui ne m’appartient pas. Car oui, ce que je redoutais le plus s’est produit…
Mon fidèle MacBook a rendu l’âme mardi soir le 27 mars vers 18h30. Dieu garde
son âme (comme ils diraient ici). Mon père m’en envoie un autre par un employé
du CECI la semaine prochaine (et j’en ai profité pour faire ajouter un autre
maillot de bain!), mais d’ici là, mes photos restent dans mon appareil!!!
Mercredi passé, je rentre chez Lucie
ma coordonatrice. Elle semble bouleversée. Elle est très impliquée dans la
communauté. Me connaissant, j’imagine que je ferais pareil si j’étais ici
depuis deux ans. Au coin de la rue, il y a une femme qui casse des roches. Elle
vit dans la rue. Elle a vraissemblablement des problèmes de santé mentale. Et
elle a des enfants qu’elle s’est fait faire pour quelques gourdes (argent
haïtien), par des hommes des alentours. Peut-être ceux qui vivent au coin de la
rue avec elle, elle ne s’en souvient plus. Certains de ces enfants sont morts,
d’autres ont trouvé de la parenté pour les accueillir. En ce moment, elle en a
deux avec la femme. Un garçon d’à peine 2 ans et une petite fille de 4 mois et
demi. Lucie a payé une opération au garçon l’année dernière. Une hernie, ses
intestins lui descendaient dans les testicules. Il va devoir se faire réopérer car
ça a recommencé. La petite rit beaucoup et elle est mignonne comme tout, malgré
les petits boutons et les champignons qui lui poussent un peu partout sur le
corps.
Lucie se met à m’expliquer que
dans l’après-midi elle entendait hurler au coin. Il y avait un attroupement de
gens… La femme tenait la petite de 4 mois et demi par les pieds et la battait à
grands coups du revers de la main. Quand elle a vu Lucie, elle a posé l’enfant
et s’est enfuie. Lucie a ramassé l’enfant qui hurlait et l’a emporté chez elle.
Elle l’a lavée et l’a calmée, comme elle le fait souvent. Quand elle a retrouvé
la femme, elle lui a demandé pourquoi elle s’était enfuie. La femme lui a
répondu qu’elle avait peur qu’elle la batte. Lucie lui a répondu que personne
ne devait battre qui que ce soit et elle lui a demandé pourquoi elle avait eu
l’idée de battre le bébé. Elle lui a répondu qu’elle avait raison, qu’il valait
mieux battre le garçon, que c’était lui qui lui causait des problèmes. Lucie
lui a dit qu’il ne fallait battre personne. Que quand elle sentait qu’elle
pétait les plombs, il fallait lui apporter les enfants.
Le lendemain de l’incident, la
petite s’est retrouvée à l’hôpital. Elle hurlait de douleur, son petit bras
était tout enflé. La femme a expliqué à Lucie qu’elle l’avait échappée. Les
radiographies n’ont pas révélé de cassure. Lucie est allée acheter un siège de
bébé. Au moins, la femme pourra déposer le bébé dedans quand elle pogne les
nerfs.
Ici, il n’y a pas de DPJ. Il n’y
a pas de ressources pour les itinérants, pas de travailleurs de rue, pas de
CLSC, pas de travailleurs socials. Et l’adoption internationale est fermée
parce que ce n’est pas assez contrôlé et que les cas de vols d’enfants sont
trop fréquents depuis le tremblement de terre. Les gens se ferment les yeux.
Que peuvent-ils faire, han? C’est ce qu’un ami de Lucie lui a dit. Et elle de
répondre :
« Vous passez votre temps à
prier Dieu, mais vous n’êtes pas capables de vous occuper de vos paires. Dieu,
il ne fera rien pour ces enfants, mais vous, vous pouvez!!!! »
Elle a raison. Je l’admire. Mais
je me questionne à savoir si tout cela est bien sain. À un moment donné, c’est
vrai. Qu’est-ce qu’on peut faire? Mais est-ce qu’on peut vraiment rester là à
ne rien faire? Je pense (et c’est ma propre analyse, je ne me suis pas
documenté), qu’à force d’être entouré de ces situations, quand on a toujours
grandi là-dedans, on fini par ne plus voir. Pas parce qu’on se ferme les yeux,
pas parce qu’on s’en fout, mais juste parce que c’est l’habitude. Comme un acouphène
ou un mal de dos ou l’arthrite… Ça fait mal, ça nous empêche de fonctionner à
plein régime, mais on fini par s’habituer, on arrête d’en parler, on vit avec.
Parce que c’est comme ça, et qu’est-ce qu’on peut y faire? Han? Alors, on se détache
et on continue notre chemin.
_________
À tous les jours, je me fais
demander de l’argent, de la nourriture, des ballons. Souvent de façon agressive,
mais parfois gentiment.
Le garçon (d’environ 9 ans) :
- Madame Catherine, bonjour!
Moi : - Bonjour timoun! (Il
connait mon nom, je ne me rappelle pas de lui…)
Le garçon : - Ça va bien
madame Catherine?
Moi : - Oui et toi? (Mais il
est donc bien poli cet enfant! Pas de BLANC, J’ai faim, Give me one dollar!?!)
Le garçon : - J’ai vu un
ballon au marcher. 50 gourdes. Si je vais avec vous, vous pourriez me l’acheter
pour que je joue avec mon ami?
Moi : - Timoun, si je t’achète
un ballon, je vais devoir en acheter un à ton ami, et à l’autre là-bas et à la
petite fille en face et tous les enfants vont venir me voir pour avoir un
ballon. Je ne peux donc pas t’acheter un ballon.
Le garçon : - Je comprends,
vous avez raison Madame Catherine.
Moi : - Ok, bonne journée!
Désolée…
Ouais, désolée… Je me sens un peu
comme de la merde depuis que je lui ai dit non… Pratiquer le détachement…
Mon mandat stagne toujours. Je
suis là pour structurer quelque chose qu’on arrive pas à me définir. Je
soutiens que ce n’est pas à moi à tracer les grandes lignes du projet car si je
le fais, le projet ne sera pas à leur image et ne sera donc pas viable. Un
moment donné je dois pratiquer, là aussi, le détachement.
En bout de ligne, et je pourrai
en reparler dans deux mois car je suis à la moitié de mon mandat, je pense que
l’expérience, quoi que difficile, aura été des plus enrichissantes. Mais une
chose est certaine je constate pendant mon séjour haïtien, d’autres injustices
de la vie. Cela dit, ici on les a dans la face ces injustices, mais je peux
vous garantir qu’il y en a autant chez nous, c’est juste qu’elles sont souvent
cachées ou déguisées. Je parlais de la grève des étudiants à un de mes
partenaires hier. Il a étudié en journalisme à l’université et enseigne dans
une école primaire pour un salaire de merde. Il est très conscient de la
puissance économique du Canada et du confort que nous avons chez nous.
Cependant, il a trouvé inacceptable ce qui se passe au Québec et m’a lancé un « Mais
la force d’une nation passe par l’accès à l’éducation pour tous!!! » qui m’a
fait chaud au cœur. Et Dieu sait qu’il y a un sérieux problème d’éducation ici!
Cela dit, j’y repense et me
questionne… Est-ce qu’ils se ferment vraiment les yeux ou ont seulement une
manière plus optimiste d’aborder les épreuves? Je ne sais pas… Probablement un
peu des deux!
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